Antonin Guillot
Le Camp Américain d'Allerey
(1918 --1919)

"A TYPICAL HOSPITAL CENTER"

ORGANISATION ET VIE DU CAMP

3.

LES PATIENTS, LES CONVALESCENTS, LE CIMETIERE, FERMETURE DU B.H.

Intérieur d'une baraque d'un hôpital de base.
(B.D.I.C.)

Chargement de blessés dans un train.

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* RECEPTION ET EVACUATION DES MALADES ET DES BLESSES

L'officier des réceptions et des évacuations avait la charge d'assurer une réception et une répartition convenables des malades, ainsi que leur évacuation, dès que leur état physique le permettait (avec dossiers et équipements) vers les centres désignés par l'autorité supérieure.

Il recevait de l'officier des statistiques un résumé quotidien indiquant le nombre de malades et de lits disponibles dans chaque hôpital et au camp de convalescence.

En général, l'arrivée des trains de blessés et malades était signalée à l'avance, par télégramme au Centre hospitalier, à partir du poste de régulation d'Is-sur-Tille, avec indication du numéro de train, de l'heure d'arrivée et du nombre de cas médicaux et chirurgicaux.

Selon un témoin, ces trains attendaient souvent une heure ou deux sur la ligne de Gray, avant de prendre l'embranchement menant au camp. Des personnes du voisinage portaient alors aux blessés du lait frais et du pain blanc qu'ils se partageaient.

L'officier des réceptions décidait de l'affectation de ces malades, en tenant compte du nombre de lits disponibles dans chaque hôpital de base et des installations particulières de chacun d'eux. Les malades à opérer les plus gravement atteints étaient dirigés vers les hôpitaux les premiers installés au Centre et les mieux équipés. Les malades atteints de la grippe étaient envoyés sur tel hôpital, ceux qui avaient contracté d'autres maladies contagieuses (y compris les maladies vénériennes) sur tel autre plus spécialement adapté.

Dans le train sanitaire, le tri était effectué par l'officier des réceptions, son adjoint, l'officier de jour du Centre et des officiers désignés par chaque hôpital de base. On pouvait ainsi affecter 600 malades et les installer en trois heures ; pendant certaines périodes on put répartir plus de 2 000 patients par jour, avec un minimum de difficultés.

L'officier des réceptions et évacuations surveillait en outre l'activité des commissions d'invalidité des hôpitaux de base. Si un hôpital n'évacuait pas ses malades aussi vite qu'il le fallait, il visitait les salles et après examen personnel de ceux-ci et avec l'aide de la commission, il accélérait leur transfert au camp de convalescence.

Ces commissions rangeaient les malades en quatre catégories

A -- Les patients aptes au combat

B -- Les patients provisoirement inaptes au combat, mais retenus pour une rapide reclassification.

C -- Les patients définitivement inaptes au combat, mais bons pour le service à l'arrière.

D -- Les patients inaptes à tout nouveau service en France.

Les patients de catégorie D, y compris les grands blessés qui pouvaient néanmoins se déplacer, les patients souffrant de maladies psychiatriques, etc., étaient évacués directement par trains spéciaux vers d'autres hôpitaux possédant des équipements plus spécifiques (par exemple ceux à qui il fallait implanter un œil artificiel).

Les patients désignés pour le transfert au camp de convalescence étaient emmenés chaque jour, sous la garde d'un sous-officier. En même temps était envoyée une liste nominative indiquant les noms, matricules, situation militaire, âge, race, religion, profession, diagnostic complet et classement, ainsi qu'un certificat précisant que le patient était exempt de vermine et de maladie contagieuse et en possession de tout son équipement et de son dossier complet.

Camp américain d'Allerey, une chambrée.

Camp américain d'Allerey, démontage de tentes.

Il y avait divers avantages à évacuer tous les patients (sauf ceux de la catégorie D et les cas spéciaux) par l'intermédiaire du camp de convalescence ; les principaux consistaient en la vérification de l'état physique des patients, en des examens fréquents par des médecins qualifiés qui déterminaient les progrès de chacun, en l'existence d'une réserve où l'on pouvait prélever des hommes en attente de transfert, pour des services divers au Centre hospitalier, en une surveillance collective par des spécialistes d'exercices gradués, et dans le rétablissement de la discipline militaire qui avait pu se relâcher pendant les traitements à l'hôpital.

Les hommes sortants devaient être répartis selon leur affectation et dirigé vers les dépôts de reclassement ou postes de régulation, pour ceux de la catégorie A. De même ceux des catégories B et C étaient évacués vers des secteurs appropriés.

L'espace réservé dans les trains locaux était souvent occupé par d'autres organisations avant leur arrivée à Allerey, et ceux-ci avaient fréquemment de nombreuses heures de retard. Aussi, pour atténuer les fatigues des hommes inscrits pour des transferts de nuit, on les conduisait après le dîner jusqu'au quartier voisin de la gare qu'ils ne quittaient que lorsque l'arrivée imminente du train était annoncée par téléphone : cela leur évitait, après un trajet de 1 200 mètres à pied, d'attendre, de nuit, au froid ou sous la pluie, un train qui parfois n'arrivait pas...

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* LES PATIENTS

Le 23 juillet, le premier contingent de 398 patients débarqua au Centre hospitalier d'Allerey, venant de Château-Thierry. Le journal "Le Courrier", du 30 juillet, le relate ainsi :

"ALLEREY -- Les premiers blessés sont arrives au camp. -- Un contingent de 500 blessés ---les premiers--- est arrivé ces jours derniers au camp d'Allerey.

Comme nous l'avons exposé succinctement dans notre compte-rendu du 5 juillet à l'occasion de son inauguration, une voie de raccordement avec le P.L.M. desservant ce camp, le train sanitaire fut aiguillé sur cette voie ; les malades, de ce fait, n'eurent pas à subir ni heurts ni transbordements, et, à leur arrivée, ils furent l'objet de soins très attentifs de la part du personnel médical et des dévouées infirmières.

Malheureusement, malgré tous ces soins, nous avons à déplorer la mort de l'une de ces victimes, décédée à la suite d'intoxication.

Les chefs et les camarades de ce brave auxquels s'était joint la population d'Allerey, lui ont fait d'imposantes funérailles(13) .

---On nous rapporte que de nouvelles constructions de baraques sont en cours. Ce nouveau groupement comportera 2 000 lits, ce qui portera le total à 12 000 lits ".

A partir de cette date, blessés et malades arrivèrent en nombre croissant, de sorte que les hôpitaux de base qui les admettaient étaient surchargés.

Le 20 octobre, il fallut augmenter la capacité d'accueil du Centre hospitalier à 20 000. On y parvint en créant quatre hôpitaux auxiliaires et en augmentant le nombre de lits dans chaque hôpital de base : dans un cas extrême on atteignit jusqu'à 2 078 lits. Même les chalets de la Croix-Rouge furent réquisitionnés.

L'arrivée de ce premier train de victimes de guerre, le 23 juillet, mérité d'être relatée. Affamés, complètement épuisés par une semaine d'attaques dans la région de Château-Thierry (par la 2e et la 3e D.I. US, notamment au Bois Belleau), souffrant de blessures qui dataient de deux à quatre jours, ces hommes ne se plaignaient pas. Pourtant, la confiance dans la victoire, à cette date, n'était pas le sentiment dominant pour des soldats fatigués et blessés. Au fur et à mesure des arrivées de convois, l'optimisme reprit toutefois peu à peu le dessus. Mais, même durant la bataille de l'Argonne (offensive de la 1e Armée américaine en direction de Mézières) pendant laquelle on reçut des blessés très graves, les effets des fatigues et des privations n'atteignirent jamais la même intensité que durant les combats de Château-Thierry.

Parmi les milliers de patients admis au Centre hospitalier, peu se plaignaient de passer des épreuves du front aux draps propres et aux soins prodigués avec beaucoup de conscience et de dévouement par les infirmières des hôpitaux de base. Même la tendance naturelle du "bidasse" à râler contre la soupe... et le reste, ne se manifestait pas autant qu'on aurait pu s'y attendre. Tous se rendaient compte que les attentions dont ils étaient chacun l'objet, leur étaient procurées au mieux par un personnel ayant cependant à s'occuper de beaucoup plus de patients qu'en temps normal.

* D'anciens patients du camp d'Allerey se souviennent

Dans un ouvrage intitulé "A doughboy with the fighting 69th",(14) le soldat Albert M. Ettinger évoque, quelques soixante ans plus tard, ses souvenirs de guerre en France, en 1918 et 1919. Il y parle, entre autres de son séjour au camp-hôpital d'Allerey, mais son récit apporte un sérieux bémol aux propos officiels qui précèdent. Voici quelques passages concernant cette période. Après avoir été gazé et gravement atteint sur le front d'Argonne, puis évacué en ambulance, il arrive dans un train-hôpital au Centre hospitalier d'Allerey. Le personnel, vu l'afflux de malades et de blessés, est débordé. On l'installe dans un lit où un patient est décédé vingt minutes auparavant et dont on n'a pas eu le temps de changer les draps...

"La salle de soins dans laquelle j'étais hospitalisé, était pleine à craquer, essentiellement des malades qui avaient la grippe ou qui avaient été gazés. On m'a raconté plus tard que j'étais resté inconscient pendant plus de trois jours. Maintenant, étendu sur le dos, j'étais malade comme un chien, et, pendant les deux jours qui suivirent, plusieurs malades moururent par étouffement, de leur infection pulmonaire. Le seul traitement que nous avions était de boire autant de liquide que possible et la plupart d'entre nous le vomissions. C'était horrible...

Le lendemain de mon arrivée, un nouveau docteur, dès sa prise de fonctions, a rapidement procédé à des changements radicaux. C'était un jeune capitaine, de Chicago. Il m'a aperçu et a crié à l'infirmière : "Bon sang ! vous ne savez donc pas comment vous occuper d'un gazé?". Il m'a installé droit dans mon lit et m'a fait un bandage serré autour de la poitrine pour maintenir mes poumons et m'aider à respirer Apparemment, c'était un des rares docteurs de l'hôpital à savoir traiter les gazés et il semblait s'intéresser personnellement à ma guérison. S'il n'avait pas été là, je ne m'en serais peut-être pas sorti, mais grâce à son traitement mon état s'est rapidement amélioré".

Albert M. Ettinger fait ensuite quelques commentaires sur le camp-hôpital et son fonctionnement :

"... Le haut commandement avait à l'évidence prévu une grande offensive et avait également envisagé un nombre élevé de victimes, vu qu'on s'était hâté de terminer le plus grand centre hospitalier de toute la France, juste avant les combats de la Meuse et de l'Argonne.

Il était construit aux abords du village d'Allerey, pas très loin de la frontière suisse (on apercevait le Mont Blanc par temps clair). La ville la plus proche était Chalon-sur-Saône. Allerey et les villages avoisinants étaient charmants, le paysage était beau et les habitants agréables et avenants. Mais le camp... c'était l'horreur.

La taille même de ce complexe hospitalier était à l'origine des problèmes. Des convalescents devaient parcourir presque un mile à pied, dans la boue, pour obtenir les médicaments dont ils avaient besoin et ne pouvaient aller librement. C'était un endroit abandonné de Dieu et je doute qu'aucun des patients qui y séjournèrent puissent un jour en oublier les misères.(15)

D'abord, parmi le personnel hospitalier, le moral était vraiment bas. Pendant mon séjour, il y eut la signature de l'Armistice, et le seul souci était de rentrer à la maison parce que la guerre était finie. La négligence s'installa alors dans le service ce qui entraîna des problèmes avec la troupe. De plus, la nourriture était affreuse et il fallait faire la queue pendant des heures trois fois par jour, à supposer que votre estomac puisse la supporter trois fois par jour.

Les rues desservant le camp n'étaient même pas en dur et les pluies en automne et la neige en hiver les transformaient en bourbiers. La situation ne s'améliorait que lorsqu'il faisait assez froid pour solidifier la boue. Pour y remédier, on construisit des caillebotis avec des planches ; si l'on s'en écartait, on enfonçait dans la boue jusqu'aux chevilles.

Si nous avions eu des laissez-passer pour Chalon-sur-Saône ou les villages alentour, cela n'aurait pas été si mal, mais ces faveurs étaient généralement réservées au personnel médical et autres membres des services.(16) A la place, nous avions un baraquement de l'Y.M.C.A.(17) et un "chalet" de la Croix-Rouge, mais l'une ou l'autre nous faisait payer leurs services. Le seul endroit gratuit était le "chalet" des Chevaliers de Christophe Colomb.(18) Bien entendu, c'est là que je passais mon temps et que je fis la connaissance de l'aumônier, le père Bannahan, un homme étonnant, de plus de soixante-dix ans... Chez les "Chevaliers de Christophe Colomb", on pouvait toujours se procurer des cigarettes, du chocolat chaud, des confiseries et de la lecture, et c'était l'endroit du camp le plus agréable à fréquenter Environ une douzaine de convalescents de la 69ème (division) s'y retrouvaient chaque soir."

Albert M. Ettinger évoque aussi la signature de l'Armistice, le 11 novembre 1918. Il y eut dans le camp un défilé improvisé avec force cris et chants, organisé par un de ses amis (voir le témoignage d'un autre soldat, un peu plus loin).

Notre homme n'était pas toujours discipliné et avec son camarade Larry, il commet quelques actions répréhensibles. Pour se procurer de l'argent, ils volent des capotes militaires et les revendent à une femme d'un village à quelque sept kilomètres du camp ; elle les achète 10 francs pièce et les transforme en manteaux pour femmes...

Et un soir, alors qu'il dîne avec son ami Larry dans un café, celui-ci dérobe une bouteille de cognac sur un rayonnage. Poursuivis par le propriétaire, ils parviennent à s'échapper en sautant par dessus le mur du cimetière. De retour au camp, ils s'aperçoivent qu'il s'agissait d'une bouteille factice remplie de "grenadine"...

Le soldat Ettinger est, par la suite, transféré dans une autre partie du camp pour terminer sa convalescence. Là, il dort, avec ses compagnons, sur des paillasses à même le sol. Il y a peu de chauffage en hiver, un poêle à bois à chaque bout de la salle, mais peu de bois pour les alimenter.(19) Les paillasses sont crevées et la paille s'échappe facilement, ce qui pose des problèmes de nettoyage. La veille de leur départ du camp, le chef du baraquement leur ordonne de rendre leurs paillasses et de dormir à même le plancher, d'où altercation et bagarre, et notre homme se retrouve au "trou" pour trois mois. Mais grâce à l'intervention de l'aumônier, il n'y aura pas de suites judiciaires.

La prison était gardée nuit et jour par deux sentinelles à l'entrée et deux à l'arrière. La détention était assortie de corvées de latrines obligatoires ; celles-ci étaient dans un bâtiment avec une rangée de quarante trous et sous chaque trou il y avait un fût métallique. Mais passons sur le détail des corvées...

Grâce à un ami, le soldat Ettinger deviendra apprenti-boucher, ce qui rendra sa détention plus supportable. Dans cette prison, il rencontrera aussi le responsable du traitement des maladies vénériennes qui lui fera visiter la salle spécialisée du Centre hospitalier, où sont soignés 80 patients.

Certes, en quittant le camp d'Allerey, il n'en gardera pas le meilleur souvenir..


En 1968, un journal américain, le "Covington Virginian ", daté du 11 novembre 1968, avait été adressé par un vétéran de la Grande Guerre à "Monsieur le Maire de Chauvort" (et il est tout de même arrivé à Allerey ... ). Dans une lettre jointe, rédigée en français, M. Frank Mc Laughlin, du New-Jersey, écrivait : "Monsieur le Maire, l'article du journal ci-inclus, commençant à la page cinq, est le récit de mes souvenirs en France pendant la Grande Guerre. Comme la partie de cet article (marquée en rouge) se rapporte à l'Hôpital Militaire Américain situé près de Chauvort dans ce temps-là et à lArmistice de 1918, il m'a été suggéré que mon récit pourrait avoir un intérêt historique pour certains habitants de Chauvort..."(20) Ces documents ne sont parvenus à notre connaissance qu'en 1978 et ils ont fait l'objet d'un article dans le bulletin "Trois Rivières".

Le récit du sergent Frank Mc Laughlin est intitulé : "World War is ended 50 years ago today, veteran recalls his memories of days in France" (La Première Guerre Mondiale que j'ai terminée il y a aujourd'hui 50 ans. Un vétéran rappelle ses souvenirs des jours qu'il a passés en France). Après un bref historique de son régiment et de sa compagnie, il raconte :

"La division "Blue Bridge" (était) composée d'hommes recrutés en Virginie et Pennsylvanie et je m'y trouvais personnellement engagé.. après un séjour de plusieurs semaines dans le "Base Hospital 49", dans le centre-est de la France, à environ 30 miles de Dijon, près de la Saône.

Il est très probable que certains des blessés du 318ème (d'infanterie) y aient été envoyés et que ce récit puisse les intéresser. Comme le 50" anniversaire de l'Armistice mettant fin à cette guerre approche, je me rappelle une scène qui s'est déroulée à l'hôpital en ce jour mémorable et un incident qui se produisit cinq jours auparavant.

... Il avait couru des bruits d'armistice, bruits qui s'étaient répandus partout et dont j'étais en partie responsable avec un groupe d'autres convalescents. Ce jour-là, nous avions marché environ un mile en direction de la Saône jusqu'au pont suspendu qui reliait Chauvort à Verdun (ne pas confondre avec Verdun-sur-Meuse, où l'on s'était tant battu). Le Quartier Général français(21) était installé à Verdun, de l'autre côté du pont, par conséquent hors de notre secteur. Aussi nous avons flâné vers l'ouest le long de la Saône et nous sommes arrivés dans un cimetière. Nous étions en train d'examiner les dates sur les pierres tombales, quand une petite vieille dame française s'approcha de nous tout essoufflée et gesticulant. Elle dit à l'un de nous qui parlait français qu'elle était employée au quartier général français et qu'elle avait entendu les généraux(22) dire que la guerre était finie. Eh bien, quelle nouvelle! Nous rentrâmes en toute hâte à l'hôpital pour répandre l'heureuse nouvelle, mais personne ne voulut nous croire, jusqu'à ce qu'un peu plus tard dans la journée, un habitant de Chauvort arrive les poches et la veste bourrées de bouteilles de vin ; il monta sur un tonneau et cria "La guerre est finie!" Il n'eut pas besoin d'en dire plus. Bientôt de nombreux habitants de Chauvort arrivèrent et ce fut des réjouissances sans fin. C'est comme cela que démarra la fausse nouvelle, lancée par une vieille dame...

"A onze heures exactement, le matin du 11 novembre 1918, la "Military Police", stationnée à l'hôpital, annonça la signature effective de l'armistice, tirant une salve avec ses armes. Immédiatement une manifestation spontanée commença avec les cuisiniers et leurs aides se précipitant hors des cuisines, tapant sur des plats, casseroles et autres ustensiles, avec des cuillers et des bûches ; et ils se mirent ainsi en marche pour défiler dans la rue principale de l'hôpital. Un clairon les rejoignit ainsi qu'un ordonnance brandissant un drapeau, puis des malades vêtus n'importe comment, criant et applaudissant, qui en uniforme, qui en pyjama, comme ils se trouvaient à cet instant, et qui se précipitaient, courant ou boitant, hors des salles d'hôpital, pour participer à cette célébration de la fin des hostilités, attendue depuis longtemps. Certains avec des béquilles, d'autres en fauteuil roulant, d'autres encore la tête, les bras ou les jambes enveloppés de pansements, tous ceux qui le pouvaient étaient venus se joindre à cette étrange mais poignante démonstration. Médecins, infirmières et officiers de service devaient même empêcher des malades d'y participer. La parade prit fin au bout d'une quinzaine de minutes et il est probable que certains participants retardèrent ainsi leur convalescence, mais très vraisemblablement sans regret. Ce fut un spectacle inoubliable et comme véritable allégresse, cela surpassait tout ce que j'ai vu, et à chaque anniversaire de l'Armistice (Veteran Day pour les plus jeunes), je présume que beaucoup d'anciens combattants encore en vie qui participèrent à cette étonnante manifestation, s'en souviennent comme moi, avec peut-être la gorge un peu serrée ".

Dans les lignes qui suivent ce récit, M. Frank Mc Laughlin raconte son départ d'Allerey pour un centre de regroupement : "Après le petit déjeuner, le 21 novembre, nous mettons armes et bagages au dos, et en route ! J'avais tout à fait retrouvé mes forces, après le long séjour à l'hôpital...

Après diverses pérégrinations et attentes, il embarque enfin à Brest, le 7 avril 1919.

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* LE CAMP DE CONVALESCENCE

Le camp de convalescence d'Allerey fut aménagé à partir du 26 juin 1918, sous le commandement du capitaine Karl Fisher, de l'hôpital de base n° 26. Le premier groupe de convalescents (11 officiers et 116 hommes de troupe et sous-officiers) arriva le 31 juillet.

Au début, ce camp occupa l'un des hôpitaux de base, car ce ne fut pas avant le 19 septembre que toutes les tentes furent installées. Entre temps, des patients et le personnel de service du Centre hospitalier furent employés à la construction de cet ensemble, au nivellement et au drainage d'un terrain de jeu de 320 m sur 210 m, à l'établissement des routes et des allées, à planter des tentes, à l'installation des parterres de fleurs devant les baraquements, etc. Le câblage électrique fut achevé à la fin d'octobre et un chalet de jeux de 75 m sur 15 m fut disponible le 11 décembre.

Ce dernier bâtiment, qui joua un grand rôle pour le bien-être et la santé des convalescents et du Centre hospitalier en général, comprenait une salle de spectacle pour 1500 personnes avec une scène, des locaux pour le personnel de la Croix-Rouge de service, une cantine, des tables, des pupitres, des billards, un piano, etc. La moitié environ du chalet fut réservé à l'installation d'un jeu de basket, d'un jeu de croquet et d'un ring de boxe.

Le camp de convalescence avait pour but de préparer les patients sortis de l'hôpital, en vue des besoins du service. Ces hommes, bien que ne nécessitant plus de soins hospitaliers, étaient néanmoins trop faibles pour retourner au combat et seraient alors restés trop longtemps à la charge de l'hôpital. Au moyen d'un programme d'éducation physique, de jeux, de distractions, on tirait un profit remarquable (selon les autorités américaines) de ces hommes affaiblis par les blessures, les maladies, le manque de moral dû à leur hospitalisation, et par le choc consécutif aux épreuves du front.

Les contingents d'arrivants étaient disposés sur deux colonnes pour être vus par les médecins-majors, en particulier pour les parasites, la gale et les maladies vénériennes, ils étaient ensuite répartis en patients A, B ou C. Ils allaient alors à pied au quartier général pour la vérification des états de service en campagne, l'habillement, etc. Quant aux hommes non reconnus "bons" pour diverses raisons (par exemple maladies légères, parasites ou absence d'équipement), ils étaient renvoyés à l'hôpital de base d'où ils venaient.

Camp de convalescence --- 1er août 1918 au 31 janvier 1919.
Nombre total des patients, des admissions et des évacuations.

Tout de suite après un reclassement convenable et la prescription d'exercices physiques appropriés, instaurer un climat de gaieté et de compétition était considéré comme le facteur le plus important pour accélérer la convalescence.

En gros, le traitement consistait à graduer les exercices et à offrir des activités intéressantes et des jeux attrayants. Afin de tenir les convalescents le plus possible occupés, on recherchait vivement et on appliquait toutes activités susceptibles de développer bonne humeur et esprit d'équipe. Les jeux collectifs favorisant ces comportements obtenaient un réel succès.

A titre indicatif, 95% des patients progressaient régulièrement lors des visites hebdomadaires.

Du fait qu'un grand nombre d'hommes hospitalisés avaient eu tendance à perdre le goût de la précision militaire et de la responsabilité, ainsi que l'entrain à leurs tâches, on faisait varier les exercices des convalescents pour y remédier, en particulier les défilés avant et après les exercices étaient très utiles, et les manœuvres comportaient une parade du soir accompagnée par la musique.

Les convalescents étaient organisés comme un régiment, subdivisé en bataillons de 1 000 hommes chacun, puis en compagnies de 250 et sections (ou pelotons) de 50 hommes. L'état-major comprenait l'officier en chef, six officiers aux fonctions précises, six médecins-officiers et un inspecteur de salubrité. Le capitaine adjudant-major, chargé de l'administration militaire et médicale, était assisté par 14 hommes dont 10 employés ; le nombre de ces derniers fut porté à 21 lorsque le camp eut atteint son importance maximale, à savoir 6 000 hommes. A noter que les officiers en convalescence rendaient des services appréciables dans l'administration du camp et dans le fonctionnement du Centre hospitalier en général.

Du réveil (à 6 heures 45) à l'extinction des feux (22 heures 30), l'emploi du temps était chargé:

* petit déjeuner ; appel ; rapports ; formation des détachements échauffement, course et marche, athlétisme ;

* garde pour les uns, exercices de saut pour les autres ; nouvel appel repas de midi ; réception, inspection et affectation des nouveaux convalescents ; rappel de mise en forme; rassemblement ; souper à 17 heures...

* Afin de respecter l'aspect militaire de l'entraînement, on rassemblait les hommes en sections avant et après chaque exercice.

Le dimanche était libre.

Pour les convalescents de la catégorie C, l'emploi du temps ci-dessus concernant les catégories A et B, était allégé (courses de relais, passes de ballon, base-ball en salle ... ). Pour les gazés, on avait prévu une série d'exercices appropriés à leur état de santé.

Au fur et à mesure de l'amélioration sanitaire des hommes, ceux-ci étaient reclassés selon leurs capacités physiques, et les "meilleurs" (catégorie A) étaient répartis par groupes pour faire des remplacements. Les autres étaient occupés selon leurs aptitudes. Peu à peu le camp des convalescents devint autonome, à part la présence de quelques officiers du Centre hospitalier, et à l'exception du travail effectué par les services médicaux.

Le reclassement fréquent des patients était l'un des domaines essentiels de l'activité médicale du camp : il était indispensable que tous les rouages soient simples et précis. Examinés par sections deux fois par semaine, les patients étaient passés à la catégorie supérieure à mesure que leur état de santé s'améliorait. Ceux de la classe A constituaient la liste courante d'évacuation. Un homme demeurant deux à quatre semaines dans la classe C était normalement examiné par le bureau des invalidités et affecté temporairement à un service approprié (service d'approvisionnement par exemple), puis il subissait une nouvelle visite.

La durée moyenne de séjour au camp de convalescence était de deux à six semaines : chaque patient était examiné en vue de son reclassement et d'un transfert. Les moniteurs surveillaient de très près les nouveaux arrivants pour déceler les lenteurs dans les exercices physiques et procéder éventuellement à leur reclassement... Et dans le délai d'une semaine, on examinait à nouveau avec soin tous les patients.

Les hommes souffrant d'insuffisance cardiaque, de syndromes d'efforts, de névroses de guerre, de séquelles dues aux gaz asphyxiants, ou ceux qui étaient en convalescence de maladies infectieuses, étaient affectés à des services spéciaux.

Les seuls patients auxquels on assurait, au camp de convalescence, des soins en permanence, étaient ceux qui étaient atteints d'une maladie vénérienne bénigne. Au début, tous les malades de cette catégorie avaient été soignés à l'hôpital de base n° 56, mais lorsque celui-ci se trouva surchargé, ils furent traités chez les convalescents. Le dispensaire du camp se révéla d'un fonctionnement très satisfaisait et la surveillance disciplinaire efficace, si bien qu'il fut maintenu jusqu'à la fermeture définitive du camp de convalescence.

A mesure que les examinateurs médicaux fournissaient des rapports journaliers, on préparait des listes de patients "bons pour la sortie". Ces patients défilaient devant l'officier en chef pour qu'il examine tous les équipements, s'assure que chaque homme est effectivement "bon pour la sortie", et ordonne à tous ceux qui ne se sentent pas en état de travailler de quitter les rangs ; ces derniers étaient immédiatement réexaminés par le bureau des invalidations.

Les autres, sous les ordres d'un officier, partaient à pied vers la gare d'Allerey, accompagnés de la musique. Arrivés en gare, ils étaient répartis en sections de 40 hommes et embarqués dans les wagons, sous la responsabilité d'un sous-officier par section qui, avec six soldats, chargeait également les rations.

Etant donné que les ordres de transfert avaient été donnés à l'avance, on pouvait assurer l'évacuation de 1500 hommes dans les deux heures suivant la réception de l'avis de transfert.

Pour simplifier l'organisation et éviter le surpeuplement du camp, certains hôpitaux du Centre hospitalier transféraient les hommes "bons pour le travail" vers d'autres hôpitaux agissant sous les ordres du camp de convalescence. Et, en complément au programme d'exercices et d'entraînement des hommes de la catégorie A, on avait prévu leur affectation à des emplois divers. Il avait paru urgent d'effectuer certains travaux très rapidement, comme la construction des bâtiments du Centre hospitalier. A cette fin, on envoya des convalescents au service du Génie pour travailler en différents points du Centre.

Le camp de convalescence fut une réserve de main-d'œuvre : ouvriers très qualifiés, mécaniciens, chauffeurs, employés, etc., ainsi que d'ouvriers non qualifiés. Un "bureau d'emploi" fournissait des listes d'hommes pour des travaux donnés (travail temporaire) dans les unités qui en avaient fait la demande. Au bout d'un certain temps, selon les circonstances, on rappelait ces hommes et on en choisissait d'autres pour continuer les travaux entrepris. On maintint toutefois en permanence le principe des détachements de menuisiers, plombiers, terrassiers, etc.

Dès le début, on avait pris des mesures pour divertir les hommes, une fois le travail journalier accompli. Outre les distractions en provenance de l'extérieur, de nombreuses autres étaient organisées au Camp lui-même. Il y eut des troupes théâtrales, des chorales et des orchestres. On projeta des films tournés dans divers secteurs du Centre hospitalier. Un orchestre de cuivres de 35 exécutants et un groupe de fifres et tambours de 15 exécutants, formés au sein du camp, participaient aux manœuvres militaires, accompagnaient les représentations théâtrales, donnaient des concerts... Pendant quelques semaines l'orchestre de cuivres du 155ème Régiment d'infanterie fut affecté au camp.

Jusqu'au 14 octobre 1918, l'organisation du camp de convalescence en deux bataillons de 1000 hommes chacun, avait donné satisfaction, mais par la suite, les effectifs s'accrurent jusqu'à compter 6004 hommes, le 9 décembre. Cela était dû au fait que l'autorité supérieure avait arrêté les évacuations et donné l'ordre que les hommes "bons pour le travail" ne partent pas du camp.

La plus forte arrivée de convalescents fut enregistrée le 19 novembre avec 1763 hommes, et la plus forte évacuation se produisit le 17 novembre avec 1918 hommes.

Le camp de convalescence fut fermé le 31 janvier 1919.

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* AIRES DE REPOS ET DE LOISIRS (Leaves Areas[23])

"Un des problèmes importants auquel fut confronté le Commandement général des corps expéditionnaires américain fut de fournir des activités de repos et de récréation aux soldats américains.

Les soldats français, britanniques et italiens pouvaient, en effet, retourner chez eux en permission pour vivre avec leurs familles et leurs amis. Cela était impossible aux soldats américains et il devint bientôt évident qu'il fallait faire quelque chose, afin de maintenir le moral et de prévenir toute crise psychologique.

En août 1917, le secrétaire général de Y.M.C.A. (Young Men's Christian Association), proposa de créer des aires de repos et de loisirs." (in "The Leave Areas", page 1).

En janvier 1918, une première aire de repos et de loisirs était créée en Savoie. Elle incluait trois stations : Aix-les-Bains, Chambéry et Challes-les-Eaux.

Durant toute l'année 1918, dix-huit nouvelles aires furent créées, en général dans des régions de villégiature ou des stations thermales, en Bretagne, Auvergne, Dauphiné, Ardèche, Hérault, sur la Côte d'Azur, dans les Pyrénées, le Gard, les Alpes, sur le Rhin (1919), en Italie et en Grande-Bretagne.

Au total 19 aires furent installées dans 39 villes, de février 1918 à février 1919.

Chaque soldat américain bénéficiait de sept jours de "leave area" pour quatre mois passés au front, autant que possible. Le transport des "permissionnaires" était assuré par l'Armée américaine.

L'organisation des aires de repos et loisirs avait été confiée à l'Y.M.C.A. et l'administration générale de l'opération revenait au Q.G. de S.O.S. (Service of Supply). L'Y.M.C.A. avait créé sept services : Religieux ; Loisirs ; Sports ; Réservation hôtelière ; Commercial ; Bar ; Cantine.

Ces "leaves areas" ont accueilli plus de 1200 000 permissionnaires, en des lieux d'une capacité hôtelière totale de 43 142 lits, sans parler d'autres installations. Le personnel comprenait 885 personnes (408 hommes et 477 femmes).

A Allerey, de nombreux convalescents de catégorie A ont dû en bénéficier, mais les archives(24) consultées ne donnent que des informations ponctuelles :

* Le 6 décembre 1918, on enregistre une demande de permission de sept jours pour Nice

* Le 7 décembre, des demandes de permission de sept jours pour "visiter" Versailles, Nice et Grenoble ;

* Des notes envoyées par "Menton Leave Area" signalent que cette aire a des places disponibles par exemple, le 30 janvier 1919, il y a de la place pour "15 soldats blancs " ...

.

* LE CIMETIERE

Le cimetière était situé au nord-est du Centre hospitalier et séparé de celui-ci par la route conduisant au hameau de Pussey (voir plan). Il faisait partie du "domaine réservé" (terrains occupés par l'A.E.F.). L'accès en était facile et l'on pouvait l'entretenir au mieux.

Il dépendait de l'officier d'intendance pour tout ce qui concernait les questions matérielles (préparation et marquage des tombes, fourniture des cercueils et de croix, entretien des tombes, des allées et massifs d'arbustes, etc.). Ce service tenait également un registre des inhumations.

Pour que les enterrements puissent se dérouler avec le respect qui s'impose et selon des cérémonies religieuses et militaires convenables, c'est le premier aumônier arrivé au Centre hospitalier qui avait la charge de l'organisation de toutes les funérailles. Il faisait, en outre, les rapports obligatoires, s'occupait de toute la correspondance relative aux obsèques et ses archives complétaient celles de l'officier d'intendance, en plus détaillées.

Ce premier aumônier avertissait les autres de la même confession que le défunt. Avant l'arrivée d'un aumônier catholique, on demandait au prêtre de Verdun-sur-le-Doubs de venir au Centre, d'administrer l'extrême-onction et de célébrer le service funèbre des défunts catholiques. S'il n'y avait pas d'aumônier de la confession du défunt (par exemple de religion juive), les services assurés par le chapelain étaient aussi proches que possible des prescriptions de sa religion.

La dépouille mortelle était emportée en ambulance. La garde d'honneur qui accompagnait chaque cérémonie était désignée par la police militaire et les porteurs des cordons du poêle(25) choisis par l'officier en chef de l'unité hospitalière où avait lieu le décès.

En raison du manque de bois, au début, il fallut marquer les tombes de simples fiches au lieu de croix. Celles-ci, comme les fiches, portèrent ensuite le nom, le grade, l'unité et la date du décès, et on y fixait les insignes du défunt.

Les enterrements étaient nombreux, car à ceux qui mouraient de leurs blessures s'ajoutaient ceux qui mouraient de maladies, en particulier de la grippe espagnole, en octobre 1918. Ils avaient lieu au crépuscule et des habitants d'Allerey et des environs entendaient souvent les salves de la garde d'honneur (une dizaine de soldats), ainsi que les sonneries de clairon réglementaires. Des civils assistaient parfois aux cérémonies qu'ils trouvaient très émouvantes.

Tous les soirs, avait lieu une cérémonie au drapeau américain qui flottait en haut d'un grand mât au centre du cimetière.

Dans un angle, des habitants d'Allerey firent ériger un monument à la mémoire du premier soldat enterré au cimetière, le "private" (soldat de 2ème classe), Paul E. Burton. Il porte l'inscription suivante :

PAUL E. BURTON

PRIVATE

BASE HOSPITAL

n° 25 U.S.A.

DIED JULY 15, 1918

HE VENTURED

FAR TO PRESERVE

THE LIBERTIES

OF MANKIND

Paul E. Burton

soldat de 2ème classe

Hôpital de base

n° 25 U.S.A.

mort le 15 juillet 1918

Il est parti

pour la défense

des libertés

du genre humain

et sur la face opposée :

ERECTED

BY THE CITIZENS

OF ALLEREY

OVER THE FIRST

AMERICAN

GRAVE IN THEIR

COMMUNE

Erigé

par les citoyens

d'Allerey

sur la première

tombe américaine

dans leur commune

Après la guerre, cette stèle, en forme de petit obélisque, haute de deux mètres environ, a été transportée dans le cimetière communal d'Allerey, dans l'angle nord-est du carré des combattants morts pour la France, où l'on peut encore la voir.

Le "cimetière provisoire" américain d'Allerey a contenu au total 460 tombes. Les services de l'Intendance de l'Armée des Etats-Unis qui avaient eu la responsabilité d'établir les cimetières militaires temporaires, furent chargés du transfert des corps selon les désirs exprimés par les familles : 70% furent réclamés par leurs proches parents et rapatriés aux Etats-Unis. Les 30% restants furent regroupés dans des cimetières permanents de l'Est de la France.

Le soldat Burton ne figure pas sur les listes concernant ces derniers, ce qui laisse présumer que sa famille a dû demander le retour de ses restes ; le monument ci-dessus ne recouvre donc aucune inhumation et a été conservé comme souvenir. Dans ses mémoires de guerre en France, Albert M. Ettinger qui avait séjourné à l'hôpital d'Allerey, écrit: "... Ces derniers (les soldats enterrés dans les grands cimetière de la premièère guerre mondiale, en France) reposent dans une gloire grandement oubliée. Très peu de gens visitent les cimetières aujourd'hui. Le soldat Burton a la chance d'avoir souvent des visiteurs et il est au moins resté dans la mémoire des habitants d'Allerey .....

Et il le restera d'autant plus que, récemment, la municipalité d'Allerey a donné le nom de "Rue Burton" à une voie qui dessert un nouveau quartier situé à l'emplacement de l'entrée du camp ; voie correspondant également à la ligne de chemin de fer qui acheminait les trains de blessés au coeur du Centre hospitalier.

Pendant toute l'existence du cimetière américain, des habitants d'Allerey et des environs sont venus se recueillir sur les tombes des soldats et les ont fleuries, parfois à la demande de familles américaines.

(PHOTO C.L. FITCH)
Une inhumation au cimetière américain d'Allerey.

Vue d'ensemble du cimetière américain d'Allerey.
(dans l'angle, à gauche, le monument au soldat Burton).

A plusieurs reprises, des cérémonies ont été organisées pour honorer la mémoire de ceux qui vinrent mourir au Centre hospitalier d'Allerey. Voici, en particulier, le compte-rendu, paru dans la presse, de celle qui se déroula au cimetière américain à la veille de la Toussaint 1918 :

"Aux morts américains --- C'est par un temps d'épaisses grisailles, enveloppé d'un lourd et humide brouillard d'automne, que s'est déroulée la cérémonie de patriotique reconnaissance organisée par le "Comité des french homes de Chalon ", au cimetière américain d'Allerey-sur-Saône.

C'était un vrai temps de Toussaint qui reflétait sur les visages le deuil des cœurs prenant part à cette cérémonie simple et émouvante.

Le cimetière des fils de lAmérique est en bordure de la route, à 500 mètres d'Allerey. Les tertres sont déjà nombreux, nous dit-on, et sur le sol gras et humide de la nécropole, six cercueils, recouverts du drapeau étoilé, attendent d'être descendus dans la glaise ouverte.

L'Harmonie américaine joue des notes de circonstance tandis qu'un prêtre anglican officie devant ces bières où reposent les fiers et héroïques "yankees" venus d'outre-Atlantique pour défendre notre sol sacré en même temps que la liberté des peuples que les sanguinaires barbares voulaient à tout jamais abolir dans le monde.

Et tandis que la cérémonie funéraire se poursuit, le cortège des "french homes de Chalon " dépose à l'entrée du cimetière une superbe couronne aux couleurs franco-américaines.

Etaient présents les délégués du Comité, dont le sénateur-maire de Chalon ; le conseiller général, des délégués de la commune d'Allerey.

Le colonel Ford, commandant du camp sanitaire --- qui donne asile en ce moment à près de.... blessés et malades --reçoit le comité chalonnais, entouré d'officiers américains et d'un évêque anglican portant le costume militaire.

Puis M. le Sénateur s'avance dans l'allée qui borde les tombes et, d'une voix émue prononce le discours suivant :

Messieurs,

Dimanche dernier vous avez envoyé à Chalon, une délégation du corps des officiers américains pour participer à la manifestation organisée en l'honneur des soldats français morts pour la Patrie.

Aujourd'hui, à la veille de la Toussaint, fête destinée à honorer nos morts, le "Comité french homes de Chalon" a voulu venir vous exprimer ici la gratitude et la reconnaissance profonde que nous avons dans nos cœurs pour l'Amérique et pour ses braves et héroïques soldats morts pour la France, pour sa liberté et son indépendance.

C'est un gage de sympathie que nous venons ici apporter à votre noble pays et à vos valeureux soldats. Et nous saluons aujourd'hui l'aurore de la Paix qui viendra bientôt arrêter leurs héroïques sacrifices.

Au nom du "French homes de Chalon ", colonel et gentlemen, nous vous renouvelons l'expression des sentiments de rœeconnaissance profonde et de sincère amitié que nous avons pour votre grand pays.

Au nom du Comité des foyers français de Chalon, permettez-moi de dire : Comme vous, qui n'avez pas oublié l'aide qui fut donnée à l'Amérique, de même nous, nos enfants et nos petits-enfants nous n'oublierons jamais le précieux concours que vous nous apportez aujourd'hui.

Nous vous devons une reconnaissance infinie.

Aussi bien que nos cœurs, nos foyers sont ouverts à la jeunesse américaine.

Que la mémoire de ces nobles garçons tombés pour notre France bien-aimée soit sacrée.

Que la Liberté et la Justice règnent pour toujours.

Gloire aux Etats-Unis !

Longue vie au président Wilson

Le colonel Ford remercie en termes touchants le Comité de cette marque de délicate attention qui ira droit au cœur de tous les soldats américains.

La cérémonie est terminée, mais le colonel Ford ne veut pas laisser partir les membres du "Comité des French homes de Chalon " sans dire au sénateur Richard toute la reconnaissance qu'il garde dans son cœur de patriote américain envers les Chalonnais organisateurs de cette manifestation : "On reconnaît bien là la délicatesse de sentiments qui caractérise tous les Français, dit-il, et qu'on ne retrouve pas aussi vive dans les autres pays du monde que j'ai déjà parcourus."

Avant de regagner Chalon, nous jetons un coup d'œil rapide sur la nécropole qu'envahit déjà le brouillard pénétrant du soir. A l'entrée du champ de repos, un large massif de chrysanthèmes a été déposé par les soins de la ville de Verdun-sur-le-Doubs qui, elle aussi, a voulu honorer les morts américains. La commune de Bragny-sur-Saône a déposé également des fleurs, payant aussi sa dette de reconnaissance envers ceux qui, loin de leur pays, sont tombés pour la noble et sainte cause de la Liberté.

Mères d'Amérique, dont les curs sont torturés par des deuils poignants et inconsolables, soyez assurées que les tombes de vos chers morts --- qui sont aussi les nôtres --- ne seront pas abandonnées. Chaque année des mains françaises viendront les décorer et y déposer la fleur du souvenir impérissable qui restera gravé dans nos cœurs.

("Le Progrès", 2 novembre 1918.)

Un peu avant cette cérémonie, d'après "Le Progrès", Mme Lebeuf, de Verdun, et Mme Legey, de Bragny, avaient eu "l'heureuse initiative... d'orner les tombes des soldats américains morts pour la France, au nom de ces deux localités. Dans toutes les familles où ces dames se présentèrent, elles reçurent l'accueil le meilleur et le plus empressé". Le commandant du camp leur adressa la lettre suivante :

"Mesdames,

J'ai été profondément ému par l'attention touchante que vous avez eue en pensant à orner les tombes de nos glorieux morts le jour de la Toussaint.

Pour des chagrins tels que celui de perdre un fils, un frère, un époux, très loin en pays étranger, l'hommage de la France à lAmérique éprouvée et votre geste de pieuse piété apporteront, j'en suis persuadé, un adoucissement aux grandes douleurs des familles frappées. Veuillez, je vous prie, être mon interprète auprès de toutes les personnes qui vous ont apporté leurs concours et dites leur bien que l'Amérique toute entière les remercie."

Angle nord-ouest du cimetière américain et monument Burton.

Monument au soldat Burton.

Monument au soldat Burton
(au cimetière actuel d'Allerey).

Monument Burton, inscription à l'arrière.

Panneau indicateur naguère fixé sur le mur de la mairie, place d'Allerey.

D'autres cérémonies eurent encore lieu en 1919. Notamment lors de la célébration du "Memorial Day", le 30 mai, un peu avant le départ des soldats-étudiants de la ferme-école qui avait succédé au Centre hospitalier :

"Les enfants des écoles, arrivés bien avant l'heure, avaient apporté, pour la circonstance, quantité de fleurs qui ont servi à orner les nombreuses tombes déjà toutes décorées de petits drapeaux. La population s'associant à cet hommage rendu à la mémoire des soldats glorieux qui ont succombé pendant la grande guerre, assistait en foule à la cérémonie... Les Américains ont entonné des hymnes et M. le Chapelain a célébré une cérémonie religieuse.

L'office terminé, un petit garçon des écoles a lu (un compliment) et une petite fille a ensuite offert aux Américains une gerbe de fleurs...M. le Maire a ensuite prononcé (une allocution)...".("Le Progrès", 31 mai 1919).

Dès la fin de cette année 1919, des exhumations et transferts de corps ont commencé et s'échelonnèrent sur plusieurs mois.

En octobre 1922, le journal local pouvait écrire

"Le vaste cimetière qui avait été établi, en bordure du chemin de Palleau, à proximité de l'hôpital américain d'Allerey, est aujourd'hui vide, nos alliés ayant rapatrié leurs morts et transféré au cimetière communal les sépultures de combattants français, italiens ou ennemis, qui étaient morts à leur ambulance et dont les corps n'ont pas été réclamés. Parmi ces derniers se trouve celui d'un colonel autrichien. Seule une tombe de soldat français subsiste dans un coin du vaste cimetière, bouleversé par les exhumations : la famille est en instance d'obtenir l'autorisation de translation de ce dernier corps. Bientôt donc, la terre qui a contenu ces glorieux restes, sera rendue à la culture".

.

* FERMETURE DU CENTRE HOSPITALIER ET BILAN

Lorsque le nombre de patients du Centre hospitalier se mit à diminuer, après le 1er janvier 1919, date à laquelle l'interdiction de transfert fut levée, on évacua les divers hôpitaux de base et on les ferma.

L'hôpital d'évacuation n° 19 fut transféré à l'année d'occupation du Rhin, et la majeure partie du personnel de l'hôpital de base n° 97 fut retenue pour constituer l'hôpital n° 108 du camp.

Toutes les autres unités hospitalières furent renvoyées aux Etats-Unis dès leur fermeture.

Le 1er mars 1919, le Centre hospitalier devint le département agricole de l'Université américaine de Beaune (A.E.F. University).

En résumé, on peut affirmer que le Centre hospitalier d'Allerey joua un rôle important dans la stratégie américaine durant les derniers mois de la guerre, et il a pu être qualifié par les Américains "A typical Center" :

"On a estimé(26) à 4 millions de dollars le coût de son installation et de son équipement. Il fallait 230 000 rations tous les 10 jours. Chaque mois on distribuait en liquide par l'intermédiaire du Quartier Général 50 000 dollars. En outre certains hôpitaux de la Croix-Rouge achetaient de l'équipement sur leurs fonds propres. On arriva ainsi à avoir des biens d'une valeur d'un million de dollars, sans parler des dépenses de fonctionnement.

Malgré des conditions défavorables et de nombreuses difficultés, le Centre faisait face aux urgences de manière satisfaisante et avec efficacité. Il devait se plier à des contraintes imprévues, s'étendre, et répartir son personnel de façon à prendre en charge l'afflux de blessés du front. Nombre d'opérations témoignent de la façon dont furent réglés ces cas difficiles. Pour le seul mois de novembre, on opéra 1 140 fois. Les qualités professionnelles du personnel, qui de plus devait accomplir des tâches diverses sans rapport avec son statut, sont mises en évidence par le nombre de blessés qui, une fois soignés, retournaient au combat.

C'était vraiment le plus grand hôpital du monde. Le 12 novembre par exemple, il y avait 17 250 patients (le record), soit plus d' 1/6ième de tous les soldats américains soignes dans des hôpitaux en France. Jusqu'au 1er janvier 1919, 34 056 patients furent accueillis, soignés, opérés, avec un taux de mortalité remarquablement bas : 1,47% pour l'ensemble du Centre".

Au cimetière américain d'Allerey,
(406 soldats sont déjà inhumés ; n° 405 : tombe d'un soldat juif).

Courbe du nombre de patients au Centre hospitalier d'Allerey
(du 24 juillet au 31 décembre 1918)
et graphique journalier des décès.


UNIVERSITE AMERICAINE DE BEAUNE ET ECOLE D'AGRICULTURE D'ALLEREY

Table des Matières